En ce début de Mars de l'an 1548, près de Hautefort les rouches, Robert Grêlé dit le pieu s'en revenait de la foire de la saint Jean-de-Dieu, l'air débonnaire, l'air du marchand ayant bien rempli sa bourse.
Assis sur sa carriole brinquebalante, le sourire aux lèvres, il imaginait déjà de nouvelles perspectives, un nouveau cheval, un arpent de terre et pourquoi pas quelques moutons pour la laine.
Une pointe d'inquiétude lui gachaît pourtant son plaisir.
Arrivé à la hauteur du pont de Seigne, comme tous les ans, le ciel se couvrit de gros nuages noirs poussés par un vent puissant. Un rideau de pluie, de grêle envahit soudain la vallée, inondant la route, dévastant le village tout proche, rinçant, lavant, ravinant toutes choses postées sur son passage. Quelques minutes plus tard, le calme et le soleil revenu, Robert Grêlé dit le pieu fouetta son cheval pour quitter au plus vite l'endroit et traverser le village avant que la population ne réagisse. Les paysans avaient fini par le remarquer eux-aussi : le passage du colporteur correspondait toujours à des nuées démoniaques.
Le voyant venir, ils lui coururent «Sus» ! Ils barrèrent la route au cheval en hurlant. Celui-ci se cabra et Robert Grêlé tomba à terre en perdant son chapeau, un beau chapeau tout neuf à large bord. Les cris redoublèrent, la foule armée de bâtons et d'objets hétéroclites, laissa alors tomber une giboulée de coups sur le voyageur.
Cette rage soudaine peut-elle s'expliquer par un soudain accident climatique ? Non, certainement pas, mais Robert, en plus d'être grêlé, maigre, colporteur, étranger était différent.
Robert Grêlé dit le pieu était roux.
La perte de son chapeau le conduisit à sa perte.