Tiens, un nouveau monde !
Chaque exposition avait pour thème central un petit film d’une vingtaine de minutes autour duquel chaque artiste travaillait selon ses idées et ses domaines de compétences.
C’était « Mimi » qui centralisait tous les projets de scénario pour les films et nous les réalisions ensemble. Pour l’occasion, il avait acheté une caméra Fujica Single 8 ZC1000 de chez Fujifilm. C’était le top à cette époque. La vidéo qui commençait à percer n’était pas accessible pour nous niveau budget d’une part et d’autre part les possibilités de trucages limités ne nous convenaient pas.
L’avantage du film « Single 8 » qui avait la même taille que le « Super 8 » était surtout dans la cartouche car il y avait deux bobines l’une au dessus de l’autre et non côte à côte comme dans celle du « Super 8 ». Le positionnement de ces bobines permettait de pouvoir bobiner et rembobiner le film en avant comme en arrière sur toute sa longueur et ainsi de pouvoir filmer aussi en marche arrière, bien pratique pour réaliser nos trucages. C’était moi le spécialiste et j’avais élaboré un compendium à placer devant l’objectif avec quatre caches. De sorte que nous pouvions filmer en superposition quatre fois de suite. Idéal pour dédoubler et même quadrupler des personnages sur la même image. La caméra possédait un compteur d’images précis qui nous permettait de travailler à l’image près.
Les trucages étaient réalisés selon les méthodes de Gorges Méliès, directement à la prise de vue. A cette époque nous étions encore loin d’imaginer que ces trucages pourraient se faire plus facilement avec un ordinateur.
Notre méthode de création était essentiellement orientée sur la prise de vue image par image et même, grâce à l’intervalomètre, de filmer en pixilation. Cela consiste à filmer en direct mais en décomposant les mouvements filmés, image par image, à intervalle régulier. Pour parfaire le tout, nous avions construit un mini cyclo en bois et en plâtre pour servir de studio lors des prises de vues d’objets animés ou même de personnages en pâte à modeler que Mimi, le spécialiste, transformait image par image.
A la réception des films du laboratoire, nous procédions au montage, une fois que nous étions d’accord sur le montage final, nous renvoyions la bobine au laboratoire pour qu’il nous couche une bande magnétique dessus afin d’y rajouter le son en post synchro. Après réception, nous procédions aux prises de son. C’était toujours très rigolo car chacun apportait sa touche, ses idées, et ses petites voix.
Il y avait des très courts métrages expérimentaux réalisés ainsi qui étaient projetés avant le film de base.
L’exposition globale, tournait autour du thème choisi, renforcée par la projection du film dans la salle obscure prévue à cet effet. Dès qu’il y avait assez de monde pour remplir la salle, nous lancions la projection qui durait entre vingt minutes et une demi heure.
Dans la presse, on pouvait lire : « C’est une série d’exercices explique Mimi. Nous avons utilisé la caméra comme un crayon, mais ce crayon-là va au-delà du visuel, c’est la raison pour laquelle le mouvement est presque toujours accéléré… »
« Tout le monde peut en faire autant poursuit Philippe Govin, c’est seulement une question d’idées… »
La partie expo était constituée de dessins, de photos, de sculptures et agrémentée d’objets en phase avec le décor et le thème. Pour l’expo de 1981 dont le thème était le chantier, nous avions récupéré auprès des services techniques de la ville tout un lot de palissades en bois et de panneaux de chantier. Les palissades étant agencées pour nous faire des panneaux d’accrochage.
Pour la première exposition nous avions choisi comme thème les aléas de l’application du nouveau plan de circulation dans la ville de Dreux.
Et à cette occasion j’avais réalisé pour l’exposition un mobile qui fonctionnait avec un petit panneau solaire (voir photo). La lumière faisait tourner inexorablement une voiture, représentée par une roue, autour du beffroi de Dreux symbolisé par une silhouette blanche en bristol.
Une autre création de Gabriel Peytour représentait un ring de boxe avec, pour symboliser les boxeurs, deux simples boules qui tournaient aléatoirement en s’entrechoquant de temps en temps à l’image des véhicules qui circulaient en rond dans la ville.
Gabriel était plus âgé que nous mais tout aussi créatif. C’était un ingénieur qui avait travaillé chez le pétrolier BP et un jour, il en a eu marre de ce travail qui ne le gratifiait pas et qui allait à force à l’encontre de ses idées. Ses loisirs consistaient à créer des robots et mécanismes futuristes en inox (Imaginox) mus par des champs magnétiques. Sa rencontre avec un commercial lui permit de lui confier la distribution de ces machines. Ce commercial multicartes visitait essentiellement les opticiens de la France entière.
Il leur proposait la location des «Imaginox » de Peytour durant un certain temps pour décorer leur vitrine.
Plus le catalogue de Peytour augmentait, plus il en louait. Un moyen simple pour lui d’enfin vivre de son art.
Notre force était de ne pas se prendre au sérieux et de proposer des créations étranges qui plaisaient par leur originalité à un large public. Telle cette chaise affublée d’un panneau d’interdiction de stationner.
Dans un article de presse, mon ami le photographe René Maltête écrivait : « Ces quatre là méritent le grand prix du n’importe quoi (catégorie professionnelle) ! »
Nous faisions aussi des parodies avec notamment la réalisation de Bribri autour d’une imitation « des idées noires » d’André Franquin.
Nous avions placé un système pour compter les visiteurs, et comme le dit à nouveau René Maltête : « …L’ex-chapelle est plus fréquentée que le hall de la gare SNCF ! On y rentre jusqu’à oublier d’en ressortir. On y revient croyant toujours y être ! A tout moment on prend son pied dans l’invention qui traine. On se roule dans ce self-service de l’imprévu et d’en repartir le chariot plein de drôleries à terminer chez soi ».