Chers amis lecteurs, nos reporters de l'égo du moi(s) vous proposent ce mois-ci l'interview exclusive de Rake d'''O,ü entitée martienne rencontré par notre équipe lors de son voyage sur la planète rouge.
L'égo : Que pensez-vous cher Rake d'''O,ü de notre amarissage surprise et inopiné ?
Rake d'''O,ü :
L'égo : Vous êtes étonnés, on le serait à moins ! Est-ce que vous nous trouvez beaux, beaux comme des dieux ?
Rake d'''O,ü :
L'égo : Je me demande s’il comprend vraiment ce qu'on lui dit ?
Rake d'''O,ü :
L'égo : Bon ben les gars, euh ! Il est peut être temps de retourner sur terre avant que ça se gâte !
Rake d'''O,ü :
Longtemps, enfant, j’étais hanté à l’idée de faire mon service militaire. C’est vrai que durant une grande partie de mon enfance on ne parlait que de la guerre d’Algérie. Les attentats, l’OAS, la fusillade du Petit-Clamart sur la DS du Général de-Gaulle. Et puis aussi des amis de mes parents qui avaient perdu leur fils là-bas.
Mon père, anti-militariste, objecteur de conscience, relativisait tout ça, mais j’étais un peu traumatisé quand même. Ma mère était une vraie poule et me cajolait vraiment beaucoup, jamais je n’avais été en colonie de vacances et l’idée de partir de chez moi était vraiment inenvisageable. La guerre se termina en 1962, année de mes 10 ans, ceci me laissa du temps pour souffler avant mon départ sous les drapeaux !
Déjà à la rentrée de septembre 1968, je me suis retrouvé interne au lycée technique de Chartres. Cela m’a permis de me détacher du cocon familial et de me prendre en main, seul.
Bref, les études passèrent, le sursis demandé achevé, il fallut bien me rendre à l’évidence qu’il fallait y aller à ce foutu service militaire ! J’avais 20 ans, ma fille Stéphanie était déjà née, tous les contacts paternels pour un éventuel piston éclusés, rien n’y fit. Et en octobre 1973, je fus incorporé à Versailles Satory. La seule chose où « ils » ne s’étaient pas trompés, c’était de me placer dans le Génie !
Une fois dans la caserne, je m’étais donné comme objectif d’en sortir le plus rapidement possible et de ne pas y rester un an.
A force de persuasion, d’écoute, d’attention et d’un comportement spécial, ils m’ont libéré au mois de décembre, soit à peine trois mois passés en leur compagnie. Inutile de vous raconter la joie que j’avais quand je suis rentré chez moi !
Durant cette période, j’ai pu écrire, prendre des notes et philosopher.
Les français face au service national
L’armée, c’est incompréhensible. Tout individu du sexe masculin y apprend à réaliser des actes absurdes, comme :
- passer le balai, matin, midi et soir ;
- marcher en ordre serré ;
- dormir en faisant semblant de dormir durant les appels.
… Et bien d’autres choses encore.
Il est même très difficile de trouver de la part d’un porteur de commandement un ordre qui puisse avoir un côté positif ;
par exemple « Ne nettoyer que si c’est sale ! ».
D’ailleurs, la poussière est l’ennemi numéro un de l’Armée. Ceci est prouvé quand dès votre arrivée au camp on vous impose de balayer.
L’Armée française a déclaré la guerre à la poussière. Force de frappe : 90% de vieux balais, 10% de balais neufs. De plus, les poubelles doivent toujours être vides : ce qui les rend parfaitement inutiles. Mais à l’armée, tout ce qui est inutile devient utile du fait que c’est inutile, donc tout-à-fait normal.
D’où la maxime : « Mon capitaine, pouvez-vous me dire à quoi sert une poubelle ? » Et le capitaine au lieu de répondre tout simplement « à déposer les ordures », il braille : « Une poubelle, il faut la vider, matin, midi, soir ».
Un sous-lieutenant de carrière dixit :
« … Il y a deux sortes d’espions, ceux qui travaillent pour la patrie et ceux qui travaillent pour de l’argent. De toute façon, ceux qui travaillent pour de l’argent ne vont jamais loin, moi si j’étais espion, je travaillerai pour ma patrie, car s’il m’arrivait des ennuis, je serai fusillé, mais j’aurai l’âme en paix, personne ne viendra cracher sur ma tombe… »
« …Insistez sur vos tenues, achetez des élastiques au foyer pour vos bas de pantalon, les cols de chemise par dessus le col du treillis, lassez les rangers comme on vous l’a montré, ne mettez pas vos mains dans les poches… »
« …Vous avez un motif sérieux pour rigoler ?… »
Durant une manœuvre avec simili bataille, balles à blanc et même hélicoptères, un caporal disait :
« …C’est pas le moment de fumer ! Bon planque toi davantage, ils pourraient bien passer par là, ces cons là… »
Durant un cours d’instruction sur le tir, un instructeur dixit :
« … La ligne de mire, c’est la ligne imaginaire passant par le centre de l’œilleton et le milieu du sommet du guidon. Pour ceux qui n’ont pas compris, prendre la ligne de mire, c’est aligner son œil avec la ligne de mire, et viser, c’est prendre la ligne de mire et la placer au milieu de la base du visuel. Est-ce que tout le monde a compris ? Vous feriez bien d’en faire un petit croquis. D‘ailleurs, si vous utilisez ça à la lettre, vous verrez, vous ferez mouche à tous les coups et surtout, pensez qu’ici, c’est la première balle qui compte, car si vous ne tuez pas l’ennemi le premier, c’est lui qui vous aura… »
Dictée : La base de la discipline
« …La discipline faisant la force principale des armées, il importe que tout supérieur obtienne de ses subordonnés une obéissance entière et une soumission de tous les instants, que les ordres soient exécutés littéralement sans hésitation ni murmure.
L’autorité qui les donne en est responsable et la réclamation n’est permise aux subordonnés que lorsqu’ils ont obéi ; si l’intérêt du service demande que la discipline soit ferme, il veut en même temps qu’elle soit paternelle. Toute rigueur qui n’est pas de nécessité, toute punition qui n’est pas déterminée par le règlement ou que ferait prononcer un sentiment autre que celui du devoir, tout acte, tout geste, tout propos outrageant d’un supérieur envers son subordonné seront sévèrement interdits… »
Mes pensées militaires d’époques
Soldat, que tu sois vainqueur ou vaincu, reste homme ; tu dois bannir les armes et détruire la haine pour laisser à l’homme sa personnalité et ses qualités.
Tu dois reconnaître l’individu avec qui tu combats comme ton semblable, comme un homme identique à toi avec la seule pensée de bien vivre.
Pense à ta liberté, à ta puissance, tu es homme, reste-le. Ne t’abaisse pas à perdre ta vie pour quelques kilomètres carré de territoire qui ne t’appartiendront jamais. N’oublie pas que la seule société existante est la société humaine, comprenant tous les individus du genre humain.
Il fallait apprendre à monter, démonter et nettoyer les armes !
La caserne de Versailles Satory, en haut les bâtiments dortoirs un petit matin de brouillard et en bas dans la chambrée
Schéma remis à chaque « sapeur » concernant la façon de faire son lit !
Philosophie autour de l’armée
Quand on dit que l’armée n’a pas pour but de briser la personnalité, ce n’est pas tout à fait faux, mais cela devient exact lorsqu’on voit que c’est un de ses moyens de réussite quant à son maintien.
Car c’est pour défendre sa propre stratégie que l’Armée doit briser la personnalité de l’individu. Ne pas oublier que la force de l’Armée, c’est qu’elle n’en a pas et que tout acte, toute action ne sont justifiés que par un ordre. C’est à dire que subjectivement, l’Armée n’a aucune force, ce n’est qu’objectivement qu’elle obtient sa puissance qui est considérée comme gigantesque par des individus objectifs.
C’est pourquoi l’Armée doit conserver pour se maintenir, le refus de discuter les ordres, et aussi de ne donner des responsabilités à personne. Chaque individu ne doit se poser de question quant aux ordres donnés. Il croit ainsi sa conscience libérée car il n’a fait qu’obéir et obtempérer aux ordres.
Tout individu qui s’encastre dans cette société, perd petit à petit sa personnalité, sa subjectivité, son esprit critique, ses responsabilités et par là même automatiquement sa liberté. Car cette liberté implique dans tous les cas un choix défini et une responsabilité.
Or on remarque étrangement que ceux qui sont considérés comme asociables à l’armée sont des individus qui ont un caractère propre et dont rien ne peut modifier leur axe de pensée. Au contraire, sont considérés normaux ceux qui s’adaptent le plus naturellement à cette vie étrange. C’est uniquement la loi du nombre qui a faussé ici le sens des mots normal et anormal. Déjà, comment peut-on être asociable dans une société qui n’en est pas une ? Et n’est-il pas dangereux pour l’humanité de s’apercevoir qu’environ 95% des hommes perdent leur personnalité, leur jugement, leur liberté d’expression, leur esprit critique au bout de deux à trois mois passés à l’armée.
L’armée n’est une société qu’au sens propre du mot mais pas au sens profond.
La liberté du militaire moyen est purement bestiale car malheureusement il devient assimilable à un corps qui ne peut plus être en action de sa propre volonté. On dit souvent que l’homme est le seul des animaux à pouvoir s’adapter à n’importe quelle situation, c’est vrai, mais c’est surtout lorsque le sujet reste sujet, c’est à dire conscient pleinement de sa personnalité. Sinon, il s’adapte mais il perd ses qualités d’être humains.
Et le tout sans parler de la vente et la fabrication des armes en France ni du port d’armes aux Etats-unis.
Vive la vie !