Grandeur et décadence
Youpie ! La guerre mondiale est finie ! C'est la Libération! Vive l'Amérique !!! L'Amérique, c'est beau, c'est fort, c'est grand , et c'est plus fort que toi!!!
Alors on construit des cités HLM, des grands parkings goudronnés, des bâtiments immenses, avec des vitres partout et du béton, et de grandes enseignes lumineuses, pour faire rêver le quidam, lui donner envie de payer pour ça, et à l'intérieur, on met des marchandises, des marchandises de toutes sortes, du sol au plafond, des marchandises à profusion...
Voilà, ça y est, elle est là, la grande distribution, c'est l'Amérique, elle est là, juste en bas de chez toi, t'as plus qu'à prendre ta bagnole, à crédit s'il le faut, tu achètes au supermarché de quoi la remplir au maximum, et puis tu rentres chez toi, tu as fait le plein pour une bonne semaine, voir un peu plus, avec un grand réfrigérateur, et aussi un bon gros congélateur...
Alors, elle n'est pas belle ta vie ? T'es pas le roi du pétrole avec tout ça, mon frère? En tout cas, ta vie ne sera plus jamais la même. C'est ça, l'Amérique !
Mon grand-père, lui, il n'a pas pu connaître la grande distribution, il est mort des suites de la guerre de 14, d'une distribution gratuite de gaz moutarde, mais je crois qu'il aurait pas aimé les supermarchés, son travail à lui, c'était le maraîchage des légumes, il en vendait chaque jour un peu, à l'époque on ne connaissait pas le frigo, on achetait ce dont on avait besoin au jour le jour, alors toutes ces marchandises d'un coup, ça l'aurait tué sur place !
Mon autre grand-père, lui, il était agriculteur, alors la grande distribution, avec ses fameuses marges arrières, là aussi, ça l'aurait anéanti !
La grande distribution ne peut s'épanouir que dans un monde industriel, un monde où tout est marchandise, la culture, les hommes, les idées, la nourriture...
Alors circule marchandise, circule !
Mais tu dois savoir que pour casser les prix d'un seul produit,
il faut briser la vie de milliers d'hommes et saccager sans fin leur planète...
Ça a commencé d’une façon bizarre on s’y attendait pas et tout d’un coup y en a un, un gros, qui s’est mis à chanter un truc d’opéra.
Du Verdi je crois. C’était chouette, du Verdi ! Tellement chouette que sur le coup les gens ont été un peu sidérés genre surpris et se sont arrêtés et la caissière aussi. Ils se sont tournés vers celui qui osait chanter comme ça tout seul au milieu des gens et bien sûr tout le monde a pensé qu’il était un peu cinglé !
Le type un gros balèze comme un chanteur d’opéra il chantait bien, un genre ténor je crois. Les autres le regardaient en rigolant. Mais après deux ou trois minutes ils se sont désintéressés et ont voulu continuer leurs course mais un second chanteur s’en est mêlé aussi, un peu plus loin, de l’autre côté du magasin, encore plus costaud que le premier mais plutôt baryton et les deux voix mêlées ça donnait quelque chose d’étonnant. Les clients se sont arrêtés de nouveau encore plus surpris.
Un cinglé d’accord. Deux ç’est pas normal. Et ils ont commencé à se poser des questions. Pas tous y en a toujours qui se foutent de tout à part la liste des commissions. Mais les autres les futés qui réfléchissent commençaient à se demander ce qui se passait. Les plus cons eux étaient sûrs que c’était un coup monté par deux mecs bourrés mais ça tenait pas la route, les types chantaient trop juste.
Alors quoi ? Et là une troisième voix s’est jointe aux deux autres, une femme cette fois avec une tessiture soprano près de la caisse numéro cinq. La caissière de la caisse numéro cinq a lâché la boite de sardines qu’elle allait passer au code-barre. Elle avait encore jamais vu ça dans un supermarché. Les clients non plus et cette fois ils s’étaient tous arrêtés. Tous immobiles. Figés dans leur posture comme dans un tableau de Balthus. Comme si la vie s’était brusquement arrêtée. Sauf les chanteurs qui eux ne s’arrêtaient pas. Et même que deux autres gars et trois femmes s’y sont mis aussi un peu partout dans le magasin et cette fois tout le monde a commencé à s’intéresser pour de bon.
Normal, maintenant c’était un vrai spectacle et il n’y avait plus de questions ni de doutes ni d’inquiétudes à avoir ! C’était un extrait du Nabucco de Verdi le chœur des esclaves, il m’a semblé, et c’était carrément magnifique.
Peu à peu les chanteurs se sont déplacés jusqu’à ce qu’ils se rejoignent près de la caisse numéro un. Ça avait pris une sacrée ampleur et c’était trop beau. Tout le monde avait compris maintenant que c’était un cadeau que leur faisait le supermarché. On approchait de Noël et ça devait être la raison.
Malins les gars de la grande distribution ! Fallait bien qu’ils trouvent quelque chose pour faire oublier la merde hors de prix qu’ils vendaient au quotidien en toute impunité puisqu’ils contrôlaient le marché depuis longtemps maintenant qu’ils avaient fait crever tous les petits commerces et étranglé les producteurs.
Mais ça aurait été intéressant de savoir parmi tout ce monde bouche-bée combien comprenaient qu’on était en train de les rouler dans la farine et combien se confortaient dans l’idée que leur enseigne préférée méritait bien tout le pognon qu’ils lui laissaient.
Bien sûr les caissières profitaient aussi du spectacle, c’était Noël pour elles aussi, et elles étaient toutes debout à écouter avec des frissons et la chair de poule. Les caissières ont le droit d’apprécier l’opéra. Et elles commençaient elles aussi à aimer leur patron. Jusqu’au moment où celui-ci a déboulé dans le magasin en hurlant comme un malade : mais qu’est-ce que c’est ce bordel vous allez vous remettre au boulot on vous paie pas pour écouter ces conneries.
Mais les caissières elles ont rien entendu puisqu’il y avait cette musique venue du ciel. Et pour une fois elle planaient les caissières.
Mais quand elles ont regardé leur fiche de paie à la fin du moi(s) elles ont constaté qu’on leur avait fait sauter leur prime de fin d’année. Y avait eu ce mois-là une grande distribution de sanctions. Merci Père Noël !
Les épisodes précédents : Piero, le narrateur, vit à Shima, un programme du nouveau plan sanitaire du Ministère de la Santé Publique. Le traitement qu'il subit a effondré totalement sa libido ; ses bonzaïs et son amie Alicia, pianiste et chanteuse, le soutiennent dans cette épreuve. Au cours d'une promenade au bord de la rivière, Alicia et Piero rencontrent une nouvelle amie, la fourmi Annabelle. Quelques temps après, une bande de canis lupus familiaris venue de Finance débarque sur Terre et anéanti la cité d'Annabelle qui est portée disparue.
La vie d'eunuque, ça fait rêver : le type à l'entrée du harem ; mais bon, le roi du Maroc (« Ma Doudou est partie tout là-bas D' l'autre côté de la mer qu'est d'vant moi ».), cinquante femmes, justement, peuplent son harem, et il paraît qu'il est homo ; à Shima, la question (de l’Orient, de l’orientation, à bâbord, à tribord, à voile, à vapeur) ne se pose plus ; à Shima, le sexe, faut oublier ; si par hasard tu es hétéro, tu peux toujours te consoler et lire une bande dess' qui s'appelle "Et si on parlait d'amour Pierrot" ou comment faire quand tu as le kiki rabougri et que tu as une partenaire qui « aime (encore) ça » ; pas la peine d’utiliser l’écriture inclusive ! je vous jure... ça ne s'invente pas. Il y a comme ça des tas de choses qui ne s'inventent pas, surtout quand on se met à parler sexe dans le contexte médical et encore plus quand le sexe est marchandise et que tu te retrouves entre les pattes du supply chain management («maquereau » en français).
Quoi ? Où ? Comment ? Quand ?
La réponse optimale à ces quatre questions stratégiques est clé de la réussite ; si tu foires ton coup, c'est grande distribution de claques et de ferrailles dans le buffet. Voilà, c'est dit; je ne savais pas comment m'y prendre ! Ben c'est fait; stress réduit dans le boat people and on the supply chain ! (« Ma Doudou, c'est sûr qu'elle va prendre froid Dans c' pays, qui est-ce qui la soignera Et alors peut-être bien qu'elle mourra) ». Je gère, facile, les ressources humaines. C'est préférable, parce que je déprime ; pour combattre une nouvelle crise de bipo descendante, je vais devoir user d'un puéril stratagème.
À Shima, pas de sauna, pas de cruising, ni nursing ; pas besoin, inutile, périmé ; il y a tout de même un Géant avec un Macdo et un terminal de tram ; comme ça, tu es certain.e de ne pas te tromper. Tu es bien au bon endroit ; faut juste vérifier que tu n’as pas oublié ta carte ; ma puce, je t’adore, avec ta petite tête cheveux en vrac et tes yeux verts de fille garçonne ; en fait je n’en sais rien ; (suis-je surréaliste?) ; je ne sais pas si « hôt.e.sse de caisse » (si tu es une « fille ») ; je fantasme sur « hôt.e.sse de caisse » ; pendant ce temps là, je ne trouve pas le temps long ; (poil au Dutronc) ; je sais que c’est ridicule ; à mon âge ! retraité en traitement ! À Shima ! (bipo sur les bords)(?).
Bon ; j’ai fait mes petites courses ; je traînasse un peu au bout des files et hop ! Je (la) (le)(?) repère avec sa petite tête cheveux en vrac. Je m’engage dans cette file-là… de toute façon, faut payer ! C’est pas gentil de le dire ; mais je suis honnête ; tou.te.s les « hôt.e.sse.s » ne me plaisent pas… et je ne plaît non plus à tou.te.s ; c’est juste une histoire de feeling entre nous ; je suis un peu spéc’ ; vous avez remarqué.
Je dépose une par une chacune de mes courses sur le tapis, juste devant sa petite tête cheveux courts en vrac ; « vous avez la carte de fidélité ? » (aïe aïe aïe… ça commence dur) ; je lui fais un grand sourire : « bonjour, non, jamais ; je suis inconstant ». Je ne me suis pas trompé. The feeling is good dans ses yeux verts. OK. Bonjour le ticket !
Jambon de Bayonne
Enveloppes A4
Vinaigre blanc
Oranges
Ustensile cuisine
Sardines détail
Ananas
Ilang-ilang
Meringues
Epinards
Suis surréaliste ; je remballe tout ça dans mon petit cabas, mes yeux (noisette d’écureuil à queue touffue) dans ses yeux verts. «Vous oubliez votre ticket monsieur. - Non, je vous remercie… c’est mon cadeau, juste pour vous ».
Je vous ai donné le truc (à vous, pas aux yeux verts ; peut-être ils reliront le ticket ; toi aussi) ; mais vous savez… je ne sais quel crédit donner aux confessions d’une caissière repentie… ce n’est pas évident de trouver ce qu’il faut pour imprimer un ticket pareil (je vous aime, moi non plus) ; c’est très infantile et probablement assez macho sur les bords… faut jamais oublier de gérer la chaîne.
Quoi ? Où ? Comment ? Quand les « hôt.e.sse.s » ne sont que marchandises ; tout salaire implique un marché du travail qui n’est que réification des corps… ce n’est pas l’heure d’aller faire pipi ; faut gérer ; personne n’est dispo en remplacement pour le moment ; hop ! Rayon vert ; Code barre.
À Shima, j’ai tout mon temps pour réfléchir à ça : « être ou avoir» ; j’ai lu ça sur un post it, jaune, (Hello Yellow, Fifteenth Saturday), collé sur un boîtier technique où il est question de mourir si tu n’y fais pas gaffe.
En ce moment, à Shima, comme ailleurs… ça réfléchi. « J’en suis fort aise » me répond Annabelle (ironique, la petite fourmi en double file indienne qui voulait plus être une esclave) ; et je me dis tout seul : « et bien dansons maintenant ! ». Passe une laborieuse abeille (Elle proteste, grincheuse, la gueule de bois au glyphosate). « La carmagnole », me souffle Alicia (Toujours à détendre l’atmosphère). Un puceron cerné, englué par une horde de ninjas voit arriver l’heure de la mort.
C’est parti pour une grande distribution de grenades (« Quoi! ces phalanges mercenaires
Terrasseraient nos fils guerriers! »); de ta douce main, Shéhérazade, offres-nous la grenade, chant du oud, fertile verbe des maqams, paroles magiques pour que se lève le jour, que nous soyons en vie, heureuse (ni mal ni bien).
Ella éditions
42 route de Chavannes
28300 Lèves
Le Perche
Naturellement
Texte d’Olivier Cojan
sur les photos de Didier Leplat
112 pages intérieures
Couverture cartonnée
Format fermé 20 x 30 cm
C’est la rencontre d’un écrivain et d’un photographe, une fusion entre la poésie des mots et des images.
Une suite de paysages sans prétentions mais sublimés par la lumière et les ciels tourmentés du Perches.
Le photographe et son commentateur nous entraînent dans leur contemplation de ce monde, à la fois étrange et familier.
Le livre : 26 €
Vous pouvez le commander
en ligne ici
...La vieille barrière rouillée ne ferme plus. Elle est cassée. Elle ne servait plus à rien depuis longtemps. Alors un jour on a eu la flemme de la réparer pour la refermer, elle est restée ouverte. Les bêtes sont parties depuis longtemps, les hommes n’avaient plus rien à faire là, ils sont partis aussi. C’est dommage, quand le ciel est bleu ça fait du bien de voir du monde! Mais il ne reste que l’herbe folle et drue qui pousse partout.
Une semaine d’expo au Grand-Palais
Une partie de l’exposition
Dimanche 10 février 15h, départ en voiture de Luisant pour le Grand Palais ou je dois déposer mon tableau. La toile rentre juste dans la voiture, auparavant j’avais pris les dimensions pour avoir le format maximum 105x140cm.
Arrivée, 16h30 et embouteillage garanti devant les marches du Grand Palais avec peu de stationnement. Par chance, une place se libère et un type très sympa de l’organisation nous aide pour la manœuvre.
Ensuite, entrée par la grande porte avec le tableau sous le bras. A l’intérieur, il faut trouver le bon salon ! Il y en a quatre ! Bien sûr, on a fait la queue au mauvais endroit. Après quelques hésitations, nous trouvons le Salon des Artistes Français. Paradoxalement, c’est le salon où il y a le plus d’étrangers je pense.
Le dépôt du tableau et la signature du bon se déroule dans une ambiance chaleureuse.
Je jette un léger coup d’œil sur les lieux et c’est le retour vers Luisant.
Mardi 12 février : vernissage sur invitation.
Départ en train de Chartres avec les copains copines.
15h30 arrivée devant le Grand Palais avec deux files d’attente, une pour les invités et une autre pour les artistes. D’un côté ou de l’autre c’est une demie heure de queue pour entrer sous la verrière, sécurité oblige.
C’est la foule des grands jours, rendez-vous compte :
2000 exposants et quatre fois plus d’invités.
Moquettes de différentes couleurs sur le sol pour séparer les différents salons et toiles tendus sur les murs, c’est le top pour la présentation. Je découvre ma peinture accrochée sur le mur et mes proches voisins.
Comme sur le catalogue je suis cerné par la peinture venue d’Asie.
Pour la visite ce n’est pas vraiment la bonne journée, trop de monde, mais j’ai tout de même lié quelques contacts avec des artistes.
Jeudi 14 février j’y retourne seul.
Vendredi 15, avec quelques amis. Ce n’est plus la foule du mardi. Tu peux circuler plus librement dans les allées et personnellement je me suis senti tout petit dans tous les sens du terme car il y vraiment des choses magnifiques.
Dimanche 17 février, dernière visite avant le décrochage prévu normalement à 20h.
Surprise ! Les gilets jaunes ne sont pas loin et le quartier complètement bouclé par les CRS. Il faut montrer patte blanche pour entrer dans le secteur, pas un chat sur une partie des Champs Elysées. Je n’ai jamais vu ça.
A 19h45, la fin de l’expo approche, s’en suit un extraordinaire cafouillage.
Une bonne partie des exposants décroche avant l’heure pour faire valider le bordereau de retrait des œuvres.
Après une petite panique des organisateurs et trente minutes d’attente, je repars avec mon tableau vers Luisant.
Conclusion,
Une superbe expérience dans un lieu mythique avec des échanges avec d’autres artistes et le public.
Personnellement, j’ai eu un contact avec la ville de Maintal en Allemagne pour figurer sur un calendrier d’art et deux contacts avec des galeries parisiennes dont un qui me semble intéressant (la galerie la Beauté Du Matin Calme située dans le Village Suisse près de la Tour Effel) Bon, on verra bien!
Par contre, exposer une semaine au Grand Palais c’est le coût d‘une petite semaine de vacances, aux alentours de 400, 500€ au salon des Artistes Français, mais encore plus cher au salon des Indépendants ce qui n’est peut-être pas, à la portée de toutes les bourses.
Le maître devant son œuvre
Le maître en pleine incantation